Ste. Geneviève
Dix à quinze ans après la fondation de Ste. Geneviève, la signature du Traité de Paris signé en 1763 a marqué la fin de la Guerre française et indienne (appelée guerre de Sept Ans en Europe) et la fin de la colonie française en Amérique du nord. Cependant, tout le territoire nord-américain que la France avait revendiqué n’est pas devenu britannique. Tout ce qui se trouvait à l’ouest du fleuve Mississippi, en plus de la ville de la Nouvelle-Orléans, est devenu une partie de l’empire espagnol. Cela signifiait que Ste. Geneviève et ses habitants devinrent sujets de la couronne espagnole, même s’il fallut plusieurs années avant que les représentants de l’administration espagnole prennent le commandement de la région.

Ce changement a touché Ste. Geneviève, car la population du village a considérablement augmenté entre le recensement de 1752 (au cours duquel neuf familles y vivaient) et celui effectué par les administrateurs espagnols en 1772. À cette date ultérieure, le village comptait environ 691 habitants, la croissance étant au moins en en partie le résultat du désir des habitants français de ne pas vivre sous la domination britannique. Il semble que les déplacements à travers le fleuve Mississippi depuis les villages désormais britanniques du côté est se soient également accélérés lorsque la couronne britannique a désigné le territoire français, à l’exception du Québec, comme « territoire indien » et a interdit aux autres résidents d’y séjourner sans autorisation. De leur côté, les autorités espagnoles (une fois arrivées) ont accueilli les nouveaux arrivants francophones.
Le taux d’augmentation de la population de Ste. Geneviève se releva à nouveau après 1786, lorsque la colonie britannique située sur la rive est du fleuve devint une partie des nouveaux États-Unis d’Amérique. Les habitants de langue française étaient plus à l’aise avec ce que la couronne espagnole avait à offrir à cette époque où il y avait du désordre parmi les autochtones du territoire de l’Illinois. De plus, les nouveaux arrivants américains dans la région étaient culturellement très différents des francophones. Les habitants craignaient également que les États-Unis n’interdisent l’esclavage sur le territoire, car beaucoup d’entre eux étaient propriétaires d’esclaves autochtones ou noirs.

Qui étaient les habitants de ce village en pleine expansion ? A la tête de l’administration pendant la période espagnole se trouvaient un commandant militaire, Philippe Rastel de Rocheblave, et un juge civil, François Vallé père, qui devint l’un des citoyens les plus riches et les plus influents de la ville. Un recensement espagnol de 1791 montre que, même si l’agriculture était l’activité économique la plus importante de la ville, de nombreux artisans y résidaient : forgerons, tonneliers, ébénistes, maçons, etc. Il y avait aussi des habitants plus itinérants : commerçants et bateliers par exemple. Certains habitants de Ste. Geneviève savaient lire et écrire, mais beaucoup étaient analphabètes. Comme c’était le cas dans tous les villages francophones d’Amérique du Nord, il y avait des esclaves à Ste. Geneviève. Certaines des familles les plus riches comptaient entre dix et vingt esclaves. De plus, à l’instar de la population des villages de Kaskaskia et de Cahokia dans la région de l’Illinois, il existait de multiples relations mixtes entre hommes francophones et femmes autochtones. Le village était donc un lieu de population variée.

Une ville située si près du fleuve Mississippi était naturellement sujette à des inondations périodiques. Dès les années 1770, les inondations ont détruit les champs communs, mais des inondations désastreuses survenues au milieu des années 1780 ont obligé les résidents à déménager vers un nouveau site à environ deux milles au nord, là où la ville de Ste. Geneviève se trouve aujourd’hui.

Au sein du village, les maisons étaient construites sur des lots entourés de clôtures. Plusieurs de ces maisons ont été conservées et plusieurs peuvent être visitées aujourd’hui : par exemple la maison Guibord-Vallé, construite en 1806, la maison Bauvais-Amoureux, construite en 1792, la maison Jean-Baptiste Vallé, construite en 1794, et la Green Tree Tavern, construite en 1790. Ces résidences ont été construites dans le style « poteaux en terre » typique du pays français de l’Illinois et des colonies de la Louisiane. Dans cette technique de construction, des piquets ou des poteaux verticaux étaient insérés dans le sol et la zone située entre eux était remplie d’un mélange de paille et d’argile ou de pierres et de mortier. (Alternativement, dans le type poteaux sur sol, qui était aussi parfois utilisé, les piquets verticaux étaient insérés dans une poutre au sol.) Souvent, les maisons étaient entourées de galeries, parfois sur les quatre côtés.
L’église paroissiale de Ste. Geneviève a joué un rôle important dans le quotidien des résidents. Le village possédait dès ses débuts une église, construite dans le style vertical en rondins, et lorsque la nouvelle ville a été construite, une nouvelle structure en rondins a été érigée. Dans les années précédant 1800, il n’y avait pas toujours de prêtre en résidence, mais dès les premiers jours, les registres paroissiaux commémoraient les naissances et les baptêmes, les mariages et les décès, et l’année ecclésiale rythmait les jours des villageois aux fêtes de Noël et de Pâques, à la Fête-Dieu et à la Pentecôte et l’Assomption, entre autres.

Au fil du temps, de plus en plus d’Américains se sont installés dans la région de Ste. Geneviève, même si beaucoup vivaient dans les zones périphériques de la ville. Lorsque toute la Louisiane espagnole est devenue partie intégrante des États-Unis avec l’achat de la Louisiane en 1803, le mouvement des Américains dans la région s’est accéléré. Néanmoins, la population francophone et sa culture demeurèrent au cœur de la vie à Ste. Geneviève jusqu’au milieu du XIXe siècle, et aujourd’hui la ville conserve de nombreux liens, tant physiques que culturels, avec son passé colonial français, avec de nombreux événements célébrant ce patrimoine chaque année. Des habitants comme Robert « Bob » Mueller parlent de la vieille tradition du « bouillon dansant », une fête où les voisins « se régalaient » avec du bouillon de poulet servi, parfois, à la place du café.
St. Louis
Sur la rive est du Mississippi, lorsque le fort de Chartres fut remis aux Britanniques à la fin de 1765, son commandant français, Louis Saint-Ange de Bellerive (qui avait été commandant du fort Saint-Orléans sur la rivière Missouri ainsi qu’à Poste Vincennes sur le Wabash), est venu dans la jeune colonie de Saint-Louis en tant que principale autorité militaire et civile. Au cours des années suivantes, alors que la couronne espagnole mettait progressivement en place ses administrateurs pour l’ensemble du territoire de la Louisiane et de la région de la Haute-Louisiane qui comprenait le Missouri, Saint-Ange supervisa la croissance du poste et de la ville, alors que de nombreux francophones se déplaçaient à travers la rivière Missouri pour éviter de vivre sous la domination britannique.

Les premières descriptions et cartes montrent qu’il y avait deux rues principales parallèles au Mississippi et plusieurs rues les coupant à angle droit. Le village possédait assez tôt une place publique et une église, même si le premier baptême de Saint-Louis, en 1766, eut lieu sous une tente. La première église, un bâtiment vertical en rondins – qui, selon les historiens, ressemblait probablement beaucoup à l’église de la Sainte Famille à Cahokia, dans l’Illinois – se trouvait sur le site de l’actuelle « vieille cathédrale » et Saint-Louis devint bientôt une paroisse officielle.
Saint-Louis était organisé d’une manière typique du pays des Illinois et similaire à celle de Ste. Geneviève : des résidences en ville, un grand terrain clôturé pour des lots agricoles, et un champ commun pour le pâturage. Les terrains en ville étaient généralement clôturés et abritaient de petites maisons ainsi que, souvent, des dépendances plus petites. Le style de logement, comme à Ste. Geneviève, était avant tout poteaux-en-terre. Les terrains agricoles étaient détenus individuellement, bien que la clôture entourant le champ, destinée à empêcher les porcs, les bovins, et autres animaux errants d’entrer dans les champs cultivés, soit entretenue en commun. Les terrains agricoles étaient également dans le style « long lot » typique des communautés françaises de toute l’Amérique du Nord : les concessions mesuraient de 180 à 360 pieds de largeur sur près d’un mile de profondeur. Pour le pâturage, un certain nombre de champs communs en dehors de la ville étaient utilisés. Lorsque la couronne espagnole envoya des fonctionnaires pour superviser la ville, ils respectèrent les concessions de terres préalablement approuvées.

Saint-Louis était avant tout une ville marchande plutôt qu’un centre agricole et, en tant que capitale de la Haute-Louisiane espagnole, connaissait un trafic important lié au commerce des fourrures. Laclède et Chouteau devinrent tous deux d’importants hommes d’affaires de la ville. Ils possédaient des biens et des terrains considérables mais n’occupaient pas de postes gouvernementaux. La population de la ville augmenta rapidement : un recensement de 1776 dénombrait 56 ménages, dont 257 civils, dont une majorité d’hommes, ainsi que 75 esclaves. En 1779, il y avait environ 700 habitants, et plus de 1 400 en 1787. C’était une population variée. Il y avait un nombre important d’esclaves, tant autochtones qu’africains : un décompte estime le pourcentage d’esclaves autochtones à plus de 15 % de la population totale en 1770. Il y avait beaucoup plus d’hommes d’origine européenne que de femmes d’origine européenne, avec environ trois des hommes pour une femme. Comme c’était le cas partout dans le Pays des Illinois, des deux côtés du Mississippi, il y avait de nombreuses relations mixtes. Les mariages ou unions non conjugales entre hommes français ou canadiens-français et femmes autochtones étaient les plus courants de ces unions mixtes. Même lorsque la ville se trouvait sous l’autorité espagnole, son caractère n’a pas changé. Il demeura un lieu typique du Pays des Illinois avec ses coutumes et sa culture françaises et canadiennes-françaises.

Le commerce des pelleteries que les Français puis les Espagnols voulaient développer se faisait principalement en amont du Mississippi mais surtout en amont du fleuve Missouri. Comme toujours, cela impliquait de créer et d’entretenir des relations avec les autochtones qui habitaient ces terres. À cette fin, des groupes d’autochtones se rendaient fréquemment à Saint-Louis, d’autant plus que l’autorité passait de la France à l’Espagne et que les autochtones, partenaires commerciaux avisés, voulaient prendre la mesure de leurs nouveaux clients. La ville a accueilli des visites de Missourias, Kickapoos, Osages, Mascoutens et d’autres cherchant à créer et à consolider des relations. Les rencontres culturelles qui s’ensuivirent ne furent pas toujours faciles à négocier, mais elles firent de la ville un lieu vivant et varié, et Saint-Louis ne connut pas de violence liée à ces occasions.
En revanche, la Révolution américaine a provoqué la violence à Saint-Louis en 1780. L’Espagne avait déclaré son alliance avec les Américains et leurs alliés, les Français. Par conséquent, en mai 1780, la ville fut attaquée par un contingent d’autochtones et de commerçants de fourrures alliés aux Britanniques qui s’étaient initialement organisés à partir de Michillimakinac dans le Michigan, puis avaient descendu le Mississippi jusqu’à Saint-Louis depuis Prairie du Chien. Comme préparation de la rencontre à veniur, les Espagnols construisirent une seule tour de pierre comme fortification : elle s’appelait Fort San Carlos. La bataille, qui ne dura qu’une journée, a vu la petite garnison espagnole renforcée par des miliciens envoyés par François Vallé de Ste. Geneviève. Les forces défendant Saint-Louis l’emportèrent et les attaquants se retirèrent vers le nord.
En octobre 1800, l’Espagne a rétrocédé la Louisiane espagnole à la France, mais le changement n’apporta que peu de différence dans l’administration de la ville. Les États-Unis ont acheté le territoire de la Louisiane à la France et en 1804, le drapeau espagnol est abaissé, le drapeau français hissé puis abaissé, et enfin le drapeau américain est hissé. Saint-Louis a d’abord fait partie du Territoire de l’Indiana, puis est devenu la capitale territoriale du Territoire (américain) de la Louisiane. La ville est restée un lieu important pour le commerce des fourrures, mais la culture française dominante a commencé à changer à mesure que les Américains et d’autres immigraient et que l’économie se diversifiait. Le terrain sur lequel la première ville française a été établie est situé sur le site de l’actuel parc national de Gateway Arch, construit dans les années 1960, il ne reste donc pratiquement aucun vestige de la première ville.
La Vieille Mine (Old Mines)

Les premiers visiteurs français du Missouri ont appris l’existence de gisements minéraux non loin de Ste. Geneviève, dans le secteur de la rivière Meramac. Mention en est faite en 1700 par le père jésuite Jacques Gravier, qui travaillait à Kaskaskia. La localisation des richesses minérales étant l’un des principaux espoirs des Français pour leur colonie, en 1715, le gouverneur de la Louisiane, Antoine de la Mothe Cadillac, vint vers le nord à la recherche de mines d’argent dans le pays de l’Illinois. Lui et ses hommes ont effectué quelques fouilles préliminaires dans ce qui est maintenant le comté de Madison, dans le Missouri, après avoir suivi le ruisseau Saline en amont de son débouché près de Ste. Geneviève. Ils n’y trouvèrent pas d’argent, mais quelques années plus tard, Philippe de la Renaudière commença l’exploitation du plomb dans l’actuel comté de Washington. Le Français Philippe François Renault arriva peu après et, en 1723, reçut une concession pour exploiter la région. La Old Mines Historical Society possède dans sa collection des preuves suggérant qu’il y avait des exploitations minières francophones là-bas dès la fin du 17e siècle, avant la concession Renault. Il est probable que ces premiers mineurs eurent suffisamment de succès pour justifier une demande d’autorisation officielle auprès du roi de France.

La première mention connue du village de Vieille Mine date de 1748 : elle se trouve dans les archives de l’église Sainte-Anne du Fort de Chartres. Au milieu des années 1770, la mine à Breton, située non loin des Vieilles Mines, a été inaugurée et le village de Mine à Breton a vu le jour. L’exploitation minière à ciel ouvert, le travail fait avec des pioches et des pelles, était la méthode d’extraction jusqu’à l’arrivée d’un mineur de Virginie, Moses Austin, au début des années 1800 et que les premiers puits soient creusés pour extraire le minéral. Selon les représentants de la Old Mines Historical Society, les résidents locaux ont continué à exploiter les gisements peu profonds à l’aide de petits puits jusqu’au 20e siècle.
La production de plomb a augmenté dans les mines de La Vieille Mine au cours de la première partie du 19e siècle, bien qu’elle ait diminué au milieu du siècle. Les communautés sont restées assez isolées et la langue française a continué d’être utilisée quotidiennement jusqu’au 20e siècle. Le dialecte qui s’est développé ici est familièrement connu sous le nom de « Pawpaw French » ou français du Missouri et, bien que le nombre de locuteurs ait diminué, les habitants de la région sont fiers de leur héritage, organisant des festivals et d’autres événements pour commémorer et célébrer leur passé français. Le chanteur et violoniste Dennis Stroughmatt est devenu un ambassadeur musical des traditions, de la langue et de la culture de cette communauté du Missouri. Le film « C’est pu comme ça more » de Michel Brault et André Gladu, sorti en 1977, met en valeur les francophones des Vieilles Mines alors que la tradition française se perpétue dans la culture et la musique. Il peut être consulté ici.

Cape Girardeau

Cape Girardeau, dans ce qui est aujourd’hui le sud-est du Missouri, est une autre communauté d’origine française située sur le fleuve Mississippi. Elle tire son nom du commerçant de fourrures Jean Baptiste de Girardot qui y établit un poste de traite au début du 18e siècle. L’agglomération s’agrandit après l’arrivée de Pierre-Louis Lorimier dans la dernière décennie du 18e siècle. Lorimier, qui avait travaillé dans le commerce des fourrures et établi des postes dans ce qui est aujourd’hui l’Ohio et l’Indiana, était venu dans la région juste au sud de Ste. Geneviève à la fin des années 1780.

Il avait servi la couronne britannique pendant la guerre d’indépendance et était venu dans la région à l’ouest du Mississippi, alors territoire espagnol, en réponse au flot d’Américains s’installant dans l’Ohio et l’Indiana. Il se dirigeait ensuite vers le sud, jusqu’au Cap Girardeau, où il a formé une milice à la demande des autorités espagnoles. Il exerçait également des activités commerciales. La colonie s’est développée avec l’arrivée des Américains de l’autre rive du Mississippi, et après que le territoire est devenu une partie des États-Unis avec l’achat de la Louisiane, Lorimier est resté, dirigeant son entreprise de commerce des fourrures et cultivant les terres qui lui avaient été concédées.
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