Alors que la couronne française tentait d’administrer son vaste territoire nord-américain et de continuer à extraire des fourrures, elle devait entretenir des relations avec les autochtones vivant sur les terres qu’elle revendiquait. Une fois un accord de paix conclu avec les nations iroquoises en 1700, les Français durent trouver des moyens de travailler avec les tribus du Pays des Illinois : les Illinois et leurs alliés les Miami, et les antagonistes des Illinois, les Chickashaws.

Une façon d’y parvenir était de continuer à disperser des forts le long des voies navigables reliant les parties de ce territoire afin de maintenir le contact et d’entretenir les relations. Alors que de plus en plus de trafic et de marchandises descendaient le fleuve Mississippi vers la Louisiane, la partie sud de la Nouvelle-France, un nouveau fort, le Fort de Chartres, fut établi sur la rive est du fleuve, à 18 milles au nord du village français/autochtone de Kaskaskia. Construit en 1720, ce fort était une structure dotée de palissades en rondins dressés et comportant des bastions d’angle. Le fort a été reconstruit plusieurs fois après 1720. La dernière reconstruction a été construite en pierre en 1753 et comprenait une poudrière en pierre. Ce fort devait jouer un rôle important dans le développement de la présence française dans cette région.
Plus au nord, un fort éphémère appelé Le Pouz a été créé en 1729 par le commandant du Fort St. Joseph (situé aujourd’hui à Niles, Michigan) à l’est de la rivière Des Plaines et au nord de la rivière Kankakee, une zone de marais riches en animaux à fourrure. Le fort fermera cependant en 1730. Le long de la rivière Ohio, dans la partie la plus méridionale de l’actuel Illinois, les Français construisirent un autre fort en 1757. Le fort de l’Ascension fut reconstruit en 1759 et nommé Fort Massac mais fut abandonné après la défaite française lors de la guerre de Sept Ans, (aussi appelé la Guerre française et indienne). Enfin, le fort Kaskaskia fut construit vers 1759 pour protéger la ville de Kaskaskia qui se trouvait aux bords du fleuve Mississippi, signe de l’importance économique de la ville.
Ces forts ont été construits au cours d’une période marquée par une série d’affrontements violents avec les Meskwaki (appelés par les Français les Renards ou “Fox”) et leurs alliés : cet ensemble de conflits sanglants est aujourd’hui généralement appelé la Guerre des Renards (“Fox Wars”). Les Français s’étaient placés au milieu d’une région où il existait des tensions intertribales. Lorsqu’en 1710 les Français invitèrent plusieurs tribus autochtones à s’installer près de leur nouveau fort de Détroit, cela a amené des nations qui se considéraient comme rivales ou ennemies à proximité les unes des autres, et des violences éclatèrent entre différents groupes concurrents. Les Meskwaki et leurs alliés comme les Mascouten rivalisaient pour le contrôle avec les rivaux des Meskwakis tels que les Potawatomi et les Odawa. Les Français se sont rangés du côté des Potawatomi et d’autres rivaux des Meskwaki.

La violence intertribale a persisté et s’est étendue, impliquant finalement presque toutes les nations autochtones du haut Midwest, y compris les Peorias et d’autres autochtones, ainsi que les Français. Pour cette raison, les commerçants français avaient beaucoup de mal à accéder aux voies navigables cruciales telles que le portage Chicago-Des Plaines qui pouvait les amener des Grancs Lacs jusqu’au Mississippi. Les forts construits par le gouvernement français dans l’Illinois ont été établis en partie pour tenter de gérer cette situation alors qu’ils négociaient des relations complexes avec leurs partenaires commerciaux autochtones. Les guerres ont créé une situation d’instabilité dans le Pays des Illinois et plus au nord. Ces guerres ont fini par décimer les Meskwaki et ils ont cherché refuge parmi le peuple Sauk à Green Bay dans l’actuel Wisconsin. En 1745, ils se sont déplacés vers le cours inférieur de la rivière Wisconsin, pendant que les conflits s’atténuaient.
Commerce des fourrures, alimentation et agriculture
Les forts français étaient généralement situés à proximité des villages autochtones. Parfois, les Français choisissaient ces sites parce que les villages étaient déjà là, ce qui leur a permit de bénéficier plus facilement de la proximité des partenaires commerciaux autochtones. Parfois, des villages autochtones surgissaient à côté des forts pour la même raison : la présence de partenaires commerciaux français dans les forts. Bien que certains forts français soient trop petits ou temporaires pour attirer de nombreux colons français {appelés habitants, même en anglais), plusieurs sites du Pays des Illinois ont vu se développer des villages avec d’importantes populations d’habitants à proximité des forts.
Un de ces villages s’est développé tout près du fort de Chartres vers 1720, et vers 1722, une autre colonie française, nommée Prairie du Rocher, a été établie à proximité. Les falaises rocheuses qui ont donné le nom à ce dernier village étaient situées de telle sorte que la population pouvait profiter des riches terres agricoles proches de la rivière, terres parfois appelées “American Bottoms,” pour la culture. Le village de Kaskaskia en aval du Fort de Chartres était un autre village peuplé de commerçants français, d’habitants et d’autochtones. Comme ceux du village de Chartres et de la Prairie du Rocher, ils utilisaient les riches bas-fonds pour planter du blé, du tabac, du chanvre et du lin, en plus du maïs et des courges traditionnellement cultivés par les Amérindiens. Ces communautés, ainsi que d’autres villages français proches du Mississippi comme Ste. Geneviève, dans le Missouri, ont commencé à exporter ces nouvelles marchandises vers le reste de la Nouvelle-France, en particulier vers la Louisiane, marquant un tournant économique par rapport à la dépendance à l’égard de la traite des fourrures.

Des traces de ces communautés subsistent aujourd’hui, tout comme certaines des communautés elles-mêmes. Au site historique du fort de Chartres, certaines parties des murs en pierre du fort du XVIIIe siècle ont été reconstruites, et les visiteurs peuvent voir certains bâtiments reconstruits, la porte rénovée du fort (construite dans les années 1920) et visiter un potager planté de légumes et d’herbes qui auraient été entretenus par les femmes du village à l’époque coloniale.

La ville actuelle de Cahokia abrite le palais de justice colonial français de Cahokia, construit en 1740. L’église de la Sainte Famille, reconstruite en 1799 dans le style architectural français poteaux sur solle, est également présente, tout comme le palais de justice dans le même style. A proximité, la ville de Prairie du Rocher continue aujourd’hui de célébrer ses origines françaises.
Une autre communauté qui a continué à prospérer pendant la période française et par la suite était Kaskaskia, située dans les riches bas-fonds du Mississippi, à l’embouchure de la rivière Kaskaskia. De nombreux registres coloniaux, dont ceux tenus par le notaire à Kaskaskia, documentent la vie du village et de ses environs, notamment le fort de Chartres et Cahokia. Un recensement de 1723 fait état de la population totale de ces trois paroisses à 334 habitants, sans compter les soldats en garnison au fort, et par la suite une population d’environ 2 000 habitants vingt ans plus tard.

Les villages de l’époque française comme Kaskaskia étaient aménagés à peu près comme ils l’auraient été en France, avec des maisons pour la plupart construites dans le style traditionnel des bâtiments à poteaux sur sol ou poteaux en terre. Dans ce style, les poteaux verticaux sont insérés soit dans un appui en bois, soit directement dans le sol, et les espaces entre les poteaux sont remplis d’un mélange de boue et de paille ou de boue et de pierre.
Chaque maison possédait un potager où les habitants cultivaient des légumes, des herbes et des fruits. Les champs entourant les villages du pays des Illinois produisaient les récoltes exportées vers d’autres régions de la Nouvelle France, même si les habitants continuaient également à être actifs dans le commerce des fourrures. Les champs agricoles étaient disposés comme ils l’étaient dans une grande partie de l’Amérique du Nord française, selon un système appelé “long lots” ou fermes en ruban. Dans ce système, les terrains sont longs et étroits, le côté étroit faisant généralement face à une rivière.

Dans tous ces villages du Pays des Illinois, la population comprenait des habitants d’origine française ou canadienne-française ainsi que des autochtones, avec un taux de mariages mixtes relativement élevé entre les deux groupes. Parce que les relations de parenté étaient importantes pour l’intégration dans les réseaux commerciaux, les mariages mixtes entre Français et femmes autochtones étaient avantageux pour les familles des deux côtés du couple. Résidaient également dans les villages des esclaves, à la fois autochtones et d’origine africaine, ainsi que des Noirs libres. D’après les actes du notaire, nous savons que les habitants de Kaskaskia exerçaient des métiers tels que forgeron, tonnelier et charpentier. Certains savaient lire et écrire, mais beaucoup étaient analphabètes.
Pages de l’Illinois